Vaccin A (H1N1) : c’est mal Barré !
Publié le 09/11/2009 | 1 réaction
La vaccination contre la grippe A (H1N1) est mal partie en France.
Les sondages d’opinion montrent en effet que, pour l’instant, une large majorité de la population n’a pas l’intention de se faire vacciner et les premières données disponibles sur le taux de vaccination dans les hôpitaux laissent penser que cette opinion est partagée par un grand nombre de professionnels de santé.
Cette réticence, pour ne pas dire ce rejet, peut s’expliquer par 2 ordres de motifs :
- la morbi-mortalité liée au virus A (H1N1) pandémique est plus faible qu’on ne le pensait à la fin du printemps ;
- beaucoup craignent des effets secondaires des vaccins disponibles. Et ce phénomène est particulièrement exacerbé en France, pays de naissance de nombreux vaccins mais où, pour des raisons complexes et difficiles à cerner, s’est développé ces dernières années un très fort courant « anti-vaccination ».
Allons-nous, du fait de ce climat, assister dans les prochaines semaines à un mouvement d’opinion similaire à celui qui avait suivi la campagne de vaccination contre l’hépatite B qui avait été accusée par certains de favoriser l’émergence de scléroses en plaques ?
Un travail qui vient d’être publié dans le Lancet permet de se préparer à cette éventualité en mettant à notre disposition des données qui nous aideront à interpréter plus sereinement l’annonce inévitable d’effets secondaires vaccinaux (supposés ou réels).
Prévoir les coïncidences
L’équipe internationale d’infectiologues, de spécialistes de la sécurité vaccinale, d’épidémiologistes et de médecins de santé publique qui signe cette publication s’est livrée à une activité indispensable et pourtant inédite : évaluer, a priori, la fréquence habituelle (ou « coïncidente ») dans la population de certains événements pathologiques qui pourraient être, à l’avenir, imputés au vaccin contre la grippe A pandémique. Ainsi, grâce à ce type de données statistiques, il nous serait possible, en théorie, de savoir si tel ou tel incident ou accident survenant dans les jours ou les semaines qui suivent une vaccination a une probabilité raisonnable d’avoir un lien de causalité avec cette immunisation (si sa fréquence est supérieure à celle du « bruit de fond » habituel) ou s’il ne s’agit plus vraisemblablement que d’une simple coïncidence temporelle.
10 millions de vaccinés avec un placebo : 21 cas de syndrome de Guillain-Barré dans les 6 semaines !
Prenons pour expliciter le propos l’exemple du syndrome de Guillain-Barré (SGB) qui envahit les forums consacrés sur Internet à la vaccination et qui hante le sommeil des responsables sanitaires. Steven Black et coll. ont tenté sur la base d’une recherche exhaustive dans la littérature médicale d’en évaluer l’incidence hors de toute vaccination. Il est apparu que celle-ci était bien sûr variable selon les pays, le sexe et les tranches d’âge allant par exemple de 0,70/100 000/an chez les garçons de moins de 17 ans au Royaume Uni à 10,13/100 000/an chez les hommes finlandais de plus de 65 ans. Mais en moyenne, toutes classes d’âge confondues et quel que soit le sexe, dans un pays comme le Royaume Uni, l’incidence annuelle du SGB est estimé à 1,87/100 000. Si l’on admet (pour les besoins du raisonnement) que les sujets vaccinés seront représentatifs de la population générale, pour 10 millions de personnes ayant reçu le vaccin, le calcul nous apprend que le hasard voudrait que l’on observe dans la semaine qui suit l’injection 3,58 cas de SGB et 21,5 cas dans les 6 semaines suivantes (voir tableau). En première analyse, nous ne pourrons donc considérer le SGB comme un effet secondaire probable du vaccin que si sa fréquence dépasse significativement celle du bruit de fond.
Se prémunir contre la rumeur
Il va sans dire que ce raisonnement simple ne sera pas totalement opérant. D’une part pour des motifs scientifiques. Car les sujets vaccinés ne seront pas nécessairement représentatifs de la population générale. D’autre part et surtout pour des motifs médiatico-psychologiques voire politiques. On peut en effet être certain que l’annonce, inéluctable, de quelques cas de SBG dans les semaines qui suivront le début de la campagne fera plus de « buzz » que les déclarations rassurantes d’épidémiologistes évoquant dans des termes peu compréhensibles une fréquence « coïncidentale ». Sans même évoquer les suites juridiques probables de ces SGB, les tribunaux ne tenant pas toujours compte des réalités statistiques (et c’est un euphémisme). Il est même possible que rien ne pouvant démontrer que ces SGB ne sont pas dus au vaccin, au nom du principe de précaution, les autorités politiques soient amenés à prendre des mesures de restriction sous la pression du public.
De la mesure du bruit de fond
Mais n’anticipons pas et présentons ici, grâce au travail de Steven Black et coll., quelques chiffres qui nous permettront, espérons-le, de raisonner plus sereinement dans les semaines qui viennent.
Tableau
Nombre de cas « coïncidents » attendus après une vaccination
Dans la journée
Dans la semaine
Dans les 6 semaines
SGB (pour 10 millions de vaccinés) 0,51
3,58
21,5
Névrite optique (pour 10 millions de femmes vaccinées) 2,05
14,40
86,30
Morts subites (pour 10 millions de vaccinés) 0,14
0,98
5,75
SEP (pour 10 millions de vaccinés) 2,7 à 6,7
19 à 47
114 à 285
Convulsions (pour 10 millions d’adultes vaccinés) 27,4
191
1 150
Avortements spontanés (pour 1 million de femmes enceintes vaccinées) 397
2 780
16 884
SGB : Syndrome de Guillain-Barré ; SEP : Sclérose en plaques
Comme on le voit à la consultation de ce tableau, des problèmes risquent de se poser pour des affections relativement rares comme par exemple le SGB, la névrite optique ou la sclérose en plaques (SEP) et dans ces cas, l’histoire du vaccin contre l’hépatite B et de ses relations éventuelles avec la survenue de SEP montre bien qu’il est difficile de faire prévaloir les lois de la statistiques sur l’émotion. Mais la question des effets secondaires du vaccin pourra être soulevée également devant la survenue d’événements très fréquents comme des avortements spontanés ou des crises comitiales. Le problème sera tout particulièrement aigu pour l’avortement spontané alors que les femmes enceintes sont l’un des tous premiers groupes prioritaires pour la vaccination. On voit en effet que, parmi 500 000 femmes enceintes vaccinées en France, il y aurait, du seul fait du hasard, autour de 1 400 avortements spontanés dans la semaine suivant l’injection et il serait bien difficile de démontrer à ces femmes et à la population que la vaccination n’est pas nécessairement en cause.
Le casse tête de la femme enceinte
Chez la femme enceinte la question des effets secondaires vaccinaux sera compliquée par plusieurs particularités : le manque général d’expérience vaccinale chez la femme enceinte et l’absence totale d’essais cliniques sur cette population avec ce vaccin et l’impossibilité de démontrer, sans un long recul, l’innocuité d’un vaccin sur les enfants à naître. A cela vient s’ajouter, en Europe tout au moins, le fait que nous ne disposons pas encore de vaccin sans adjuvant en quantité suffisante et qu’il nous faut donc choisir entre vacciner dès maintenant, mais avec un vaccin « adjuvanté » déconseillé chez la femme enceinte ou attendre le vaccin sans adjuvant et risquer entre temps l’apparition de formes graves de grippe chez la femme enceinte.
Pour ne pas passer à côté d’un effet secondaire réel
Il faut souligner a contrario que si le « bruit de fond » pathologique peut conduire, à tort, à attribuer la responsabilité d’un événement à un vaccin utilisé sur une très large échelle, il peut également gêner, voir empêcher, l’identification d’un effet secondaire véritable surtout si sa survenue est fréquente dans la population générale. Ainsi si, par hypothèse d’école, le vaccin augmentait de 10 % le risque d’avortements spontané, il serait quasiment impossible de le détecter par une étude de pharmacovigilance.
Enfin au-delà du danger de discréditer le vaccin par une mauvaise interprétation de données statistiques complexes, il convient de ne pas oublier que des effets secondaires bien réels, mais inattendus, peuvent toujours survenir. Ceci a d’ailleurs conduit les autorités sanitaires de plusieurs pays développés à renforcer les systèmes de pharmacovigilance vaccinales (en utilisant notamment le web) pour dépister ces éventuels nouveaux effets indésirables le plus précocement possible.
Le devoir d’informer la population
Mais aussi sophistiqués soient-ils, tous ces systèmes peuvent être mis en défaut :
- du fait d’une sur-déclaration éventuelle des effets secondaires pour ce vaccin surmédiatisé ;
- en raison du risque de voir émerger, par hasard, une relation statistiquement significative en apparence lorsque l’on étudie un grand nombre de paramètres ou de sous groupes ;
- par des effets secondaires subjectifs, pour lesquels une suggestion des sujets vaccinés informés immédiatement par les médias est possible.
On le voit ce travail sur le bruit de fond pathologique pourra être utile pour une meilleure compréhension des événements à venir par le corps médical. Il était de notre rôle de le porter à la connaissance de nos lecteurs.
Mais il est également essentiel, dans le cadre d’une campagne de vaccination de masse d’une ampleur aussi inhabituelle, d’informer a priori la population des difficultés auxquelles les autorités sanitaires seront immanquablement confrontées pour interpréter les données de phamacovigilance. Et ceci est le rôle du gouvernement…
Dr Anastasia Roublev
Black S et coll. : Importance of background rates of disease in a assessment of vaccine safety during mass immunisation with pandemic H1N1 influenza vaccines. Lancet 2009 ; publication avancée en ligne le 31 octobre 2009 (DOI : 1016/S0140-6736(09)61877-
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