LA LEGENDE ROB SHEPHERD
Du ranch à la renommée
De la ferme à la célébrité
En 1964, Sammy Miller gagne les Championnats de Trial Britannique sur son Ariel GOV 123 légendaire. Lorsqu’il passe, l’année suivante, à une Bultaco, un engin de construction espagnole avec son moteur à deux temps, tous pensent que l’ère des champions anglais Tials à quatre temps est révolue. Le Championnat fut dominé par les motos espagnoles jusqu’en 1977, avec Bultaco et Montesa qui se partagent les lauriers. A l’époque, Rob Shephered, un fermier de la région du Yorkshire en Angleterre, monte principalement une Montesa, mais en 1976 il est approché par Miller pour tester la Honda qu’il met au point. Il gagne le Championnat Britannique en 1977 et tout le monde connaît la suite.
Article de John Hulm - Stuart Taylor
Photos : Barry Robinson - Alan Vines - www.mortonsarchives.com - John Hulme - Mervyn Smith – The Sammy Miller Museum
Traduit de l’anglais par Pascale xxxxx
Né de famille d’agriculteurs dans le Yorkshire, Rob Shepherd se fraie un chemin parmi les véhicules de la ferme, dans un environnement animé. Lorsqu’il a quatorze ans, le club de moto de Wetherby aborde son père, Alan, pour lui demander la permission d’utiliser son vaste domaine à Pateley Bridge, dans le nord de la région du Yorkshire, afin d’y organiser des trials ; c’était dans les années 60 et des competitions se déroulent encore actuellement à la ferme. Son tout premier trial s’est fait sur un Greeves Scottish, acheté par son père. Il réalise plusieurs tentatives courageuses sur les parcours mais termine avec des bleus partout ; au repas du soir, il a tellement mal, qu’il ne peut même pas s’assoire à table – mais il est désormais mordu de trial. En voyant son jeune fils se régaler sur sa Greeves à la ferme, Alan se décide à acheter une Cotton flambant neuve doté d’un moteur Villiers. Rob est si excité qu’il s’entraîne à longueur de journée sur les parcours dont il démarque les limites à la ferme. Il devient rapidement un expert du centre du Yorkshire dès l’age de seize ans, en y gagnant deux prix de novice à ses premiers concours. Il est si passionné qu’il progresse vers une Montesa, et s’inscrit dans les concours nationaux pour gagner de l’expérience et termine onzième dans les British Experts de 1970 avec des résultats surprenants. Tout ceci attire l’attention de Norman Crooks. Il fournit au jeune Shepherd une nouvelle Bultaco 250cc, fin novembre. Il passe ainsi la première partie de la saison 1971, à acquérir de l’expérience dans le monde du trial anglais. Pendant cette phase d’apprentissage, il se retrouve face à une rude concurrence venant de compatriotes yorkie, comme les frères Lampkin, Malcolm Rathmell, Mick et Bill Wilkinson, pour n’en citer que quelques uns, ce qui lui permet de gagner en maturité sur ces engins, et lui procure une expérience précieuse pour gérer la pression venant de ses adversaires. A cette époque, il paie toujours pour ses propres motos. John Brise était importateur de Montesa avant que n’arrive Jim Sandiford. C’est lui qui a prit conscience du talent de Shepherd, et de son potentiel, et qui lui fournit une moto appropriée afin de rejoindre l’équipe Montesa, afin de participer aux Scott Trials, l’épeuve des six jours Trial d’Ecosse, en mai 1971, où il remporte la dixième place. A l’âge de dix-Sept ans, il gagne la compétition nationale de Peak et Kickham, et prend la seconde place derrière Bill Wilkinson au prestigieux Trial Allan Jefferies, celui que l’on se doit de gagner dans la région du Yorkshire. Plus tard, il arrive second derrière l’irlandais Sammy Miller, l’homme à battre à l’époque, qui le prend sous son aile au Trial de Clayton.
Tout homme du Yorkshire veut gagner la compétition exténuante du Scott time and observation, (chronomètre et observation), et Shepherd n’échappe pas à cette règle. Il fait la une des journaux lorsqu’à dix-huit ans seulement, il remporte le Championnat. Il continue sur sa lancée en gagnant la compétition Peak à nouveau, passant devant de nombreux amis et rivaux : Shepherd est passé à l’offensive. En 1972 il est enfin considéré comme un véritable concurrent à la victoire. Il termine l’année brillamment, en se plaçant cinquième au SSDT et dixième au Championnat Européen ; mais la cerise sur le gâteau vient en gagnant le Scott, considéré le plus rude. Le meilleur au chronomètre et en observation, il prend la victoire avec grâce, comme un grand champion du trial Scott.
Un Contrat de travail
Cette victoire le place à la une des journaux. Il est récompensé par un contrat à temps plein, et intègre l’équipe espagnole de Montesa. Ceci lui permet de se recentrer sur son entraînement. Avec la Montesa Cota en production, Shepherd trouve sa place au sein de l’équipe. En 1973, il remporte le prestigieux trophée Pinhard, récompensant le jeune de moins de 21 ans le plus prometteur, et il se place régulièrement dans les dix premiers dans la plupart des compétitions où il est inscrit. Montesa lui confit le nouveau prototype 310cc, afin d’accélérer le développement de ce dernier. A la fin de la saison 1974, il se place sixième au Championnat Européen. Lorsque Malcolm Rathmell arrive chez Montesa, la moto évolue vers le modèle cota 348, et est mise en vente. Dans la deuxième moitié des années 70, Rob traverse une période difficile chez Montesa, et les résultats se détériorent. La compagnie explique clairement que le contrat de Shepherd est en péril pour la saison prochaine. Le projet Trial de Suzuki est alors en pleine expansion, et il propose à Shepherd de monter leur nouvelle machine. Dès lors, les rumeurs circulent dans le milieu, comme quoi Shepherd serait à la recherche d’une nouvelle moto. Ceci a eut pour effet de l’encourager et la fin de saison se traduit par une première place aux British Experts.
Son ami, Nick Jefferies, lui suggère d’essayer une Honda à quatre temps, qu’il developpe avec Sammy Miller. Miller prend l’un des engins, monté par Brian Higgins (Miller n’ayant pas renouvellé le contrat de Higgins pour la saison 1977), et l’emmène à la ferme de Pateley Bridge, afin que Shepherd l’essaye. Après avoir remporté les Britishs Experts, Montesa change d’avis et propose un contrat amélioré. Mais après être monté sur la Honda, il est déterminé à rester auprès du constructeur et signe pour intégrer l’équipe Miller. Il prend ses aises immédiatement sur la moto, alors qu’il ne connaît pas ce genre de moteur. Il est impressionné par l’adhérence de la moto, terminant les circuits plus précisément, ce que jamais il n’aurait pu faire avec le moteur à deux temps de Montesa. Il gagne son premier prix avec Honda au trial du Eboracum Club, en janvier 1977, et afin de prouver qu’il maîtrise réellement la technique avec ce type de moto, il remporte le championnat national de trial Vic Brittain. Il est le premier à gagner sur une machine à quatre temps depuis 12 ans. Miller est aux anges. La moto que monte Shepherd est celle qu’a testé Brian Higgins, et il l’adore ! Cette victoire est suivie par une autres, lors du premier tour de la Coupe Colmore ; Honda est désormais en tête du Championnat Britannique ! Honda Japon suit de près les résultats de Shepherd et lui envoie la même moto avec un moteur à temps court. Le nouvel engin rouge et blanc fait sa première apparition au championnat St David’s, au Pays de Galles, terminant troisième ex-aequo. Au championnat du Monde, sa moto n’a rien d’extraordinaire, et secrètement il préfère l’ancienne version. Il reprendra l’ancien moteur pour le Championnat Mondial en Belgique ; ses résultats s’améliorent instantanément et il prend la quatrième place.
Ses efforts sont aussi récompensés au SSDT puisqu’il il arrive cinquième. Sa confiance est dorénavant au plus haut et il démontre le potentiel du moteur à quatre temps en remportant le Championnat Britannique, tout en étant le premier à gagner un Championnat Mondial à bord d’un tel engin : du jamais vu. La saison se conclut sur une cinquième place dans les World Series, et une multitude de résultats superbes. Quelle année ! Plus tard, il commente la campagne du Championnat Mondial de 1977 : « Martin Lampkin m’a dit un jour de ne jamais abandonner une moto qui gagne, et il avait raison. Mes résultats se sont détériorés lorsque j’ai commencé à monter la moto avec un moteur à temps court. Si je n’avais pas changé et si je m’étais inscrit pour les tours américains et canadiens, cela aurait pu modifier la saison entière. »
Une Bombe Explosive
Après avoir été couronné de succès au Championnat Britannique, Miller annonce une nouvelle qui fait l’effet d’une bombe : Honda se retire du trial - son plan de développement sur trois ans se terminant ici. Miller avait été mis au courant avant la fin du Championnat Britannique et encaisse donc cette information avec la dignité et le professionnalisme qui lui sont propres, se gardant toutefois de mettre Shepherd au courant avant la fin de la compétition. A l’époque, que Honda se retire du milieu déçoit grandement Miller et Shepherd, d’autant plus que ce dernier vient de leur offrir un titre si prestigieux. Les constructeurs sont rapidement au courant et cherchent à mettre la signature de Shepherd sur papier pour développer de nouvelles machines. Dans la foulée, il se rend en Italie pour tester la dernière SWM et, suite au départ de Malcolm Rathmell au profit de Suzuki, Montesa lui propose la première place au sein de leur équipe. Shepherd refuse de signer, car il sait qu’il a encore une carte à jouer. Jim Sandiford lui écrit avec une offre revue à la hausse, mais il refuse de nouveau expliquant qu’il a reçu une bien meilleure offre ailleurs ; Sandiford ne comprend pas. Début 1978, Rob n’a toujours pas de contrat, et les motos de Honda ont été retirées de l’empire Sammy Miller. Shepherd lâche alors sa propre bombe : il continuera à monter une Honda. Huit semaines après la décision du constructeur, Honda revient sur le circuit. Le patron de Honda Royaume-Unis, Gerald Davison, décide de mettre une partie du budget destiné aux courses au profit de Shepherd et du trial, lui fournissant ainsi deux motos et trois moteurs, en plus de couvrir ses dépenses pour participer au Championnat britannique, les World Series, les SSDT et Scott Trial, dans le cadre d’un accord sur un an. Il fournit également un mécanicien attitré : Mike Ember Davies, qui s’occupe exclusivement des motos de Shepherd. La moto sur laquelle il montait en 1977 devint vielle et a besoin d’être remplacée.
Une rumeur circule comme quoi une nouvelle machine est en train d’être construite au Japon. Ce nouvel engin, une 359CC, tout de rouge vêtu, présente bien, mais ne fut livrée que quelques jours avant le SSDT. Il n’a donc que peu de temps pour s’habituer à la moto et s’entraîner. Il parvient néanmoins à décrocher une cinquième place honorable. L’année se déroule plus ou moins comme prévue, mais quelques problèmes de développement de la machine l’empêche de monter sur le podium. Son labeur est justement récompensé : il prend les quatrième et cinquième places respectivement des Championnats Britannique et Mondial. Ses prouesses au Scott, font de lui une légende. Il pousse la moto trop loin sur la fin de la compétition, et s’écrase avec la Honda, laissant un trou aussi gros qu’un poignet dans le réservoir à essence. Il ignore complètement ce trou, et même si le carburant fuit, et reprend la course. Il termine l’épreuve à pied, ses vêtements couverts d’essence, en poussant la moto, pour finalement décrocher une honorable troisième place.
A la fin de la saison, on lui promet une nouvelle machine, un contrat pour l’année 1979 et le droit de garder son mécanicien. Il s’envole pour le Japon, pour une visite sur douze jours afin de découvrir et tester la nouvelle moto. Il récompense le travail et l’engagement de Honda en gagnant le premier tour de la compétition en Irlande, mais sa vielle machine perd en fiabilité. Une semaine plus tard, au deuxième tour au Royaume-Uni, il chute à la douzième place, suite à des problèmes de contact. La nouvelle moto qu’il avait testée au Japon arrive à temps pour le SSDT. C’est alors un Shepherd très confiant qui se rend au trial des Highlands en Ecosse. Il commence extrêmement bien, terminant second le premier jour, avant de prendre la tête le mardi. Il repasse second le jeudi, pour reprendre sa place de leader le vendredi : peut-il gagner ? La réponse est non : il arrive quatrième. Son numéro de dossard le place tout devant au départ le dernier jour, lui donnant un désavantage évident. Le reste de l’année se déroule bien : Il ne perd qu’une place au classement mondial, et se place quatrième au Scott. Il chute également au Championnat Britannique, se plaçant troisième à cause des problèmes qu’il a eu un peu plus tôt dans l’année, avec l’ancienne moto. 1980 est une année frustrante : il emmène Honda en troisième place au SSDT, un beau résultat. Alors que l’année avance, Shepherd est fatigué par les voyages, et par la préparation requise pour réussir et rester à un haut niveau. Il a encore des choses à prouver : il gagne le Championnat Britannique, et arrive troisième au Scott. Cependant avec l’arrivée du jeune et talentueux belge Eddy Lejeune, il sent que ses jours chez Honda sont comptés.
Les Japonaises
Le British Trial experts est la dernière sortie de Shepherd sur une Honda. Il fait une pause, lorsqu’il se blesse au genou. Lorsqu’Honda lui annonce que son contrat ne sera pas renouvelé, il decide de se retirer officiellement du Championnat Mondial. Aussitôt, Shepherd devient à nouveau au centre de toutes les discussions, et les constructeurs se l’arrachent. A l’époque, John Shirt Senior pousse Majesty Yamaha au top, dans des compétitions de trial autour du monde avec le légendaire Mick Andrews ; il sait jusqu’où peuvent aller ses machines. Entre Yamaha qui s’intéresse au projet et le partenariat Majesty qui cherche à augmenter son chiffre d’affaire, John Shirt Senior approche Shepherd lui proposant de tester une machine. Cependant, cela doit rester secret, et ce pour deux raisons : d’une part le constructeur veut l’opinion d’un motard professionnel au sujet de la performance, et d’autre part, si Shepherd se plait sur la moto, un contrat lui serait proposé, pour participer au Championnat Britannique de Trial de 1981. Le test se déroule à Hawks Nest, tout près de chez Shirt, à Buxton. Il sort trois machines à essayer, toutes à différents stades de réglages. Rob demande à son frère Norman, lui aussi un grand motard, de l’accompagner, pour avoir son opinion. Le test se passe bien. Les deux frères repartent chacun avec une moto, afin continuer les tests, alors que Shirt garde la troisième pour lui apporter les modifications suite aux conseils de Shepherd. Après les derniers tests, les deux frères signent avec Shirt pour participer au Championnat Britannique ainsi que d’autres compétitions dont les SSDT et le Scott. Shepherd sait qu’il aura du mal à s’adapter, mais il travaille de près avec le constructeur pour trouver les paramètres avec lesquels il se sent à l’aise. Durant sa première grosse sortie au trial de Colmore, il termine second. Lors des premiers tours en Irlande et au Royaume-Uni, il termine vingtième et vingt-septième, acceptant enfin que ses jours de gloires sont derrière lui. Un problème familial le pousse à se retirer du SSDT. Le restant de l’année donne quelques résultats prometteurs, dont une quatrième place au Scott. Mais, à la fin de l’année, il prend sa retraite définitivement. Dans l’immédiat, il continue à monter sur une Bultaco pour s’amuser dans des compétitions locales, mais cela ne dure pas, et très vite il arrête complètement. Au final, il compte plus de quarante titres sur une carrière longue de treize ans. Il garde un intérêt tout particulier pour le sport, d’autant plus que des compétitions de trial se tiennent toujours à la ferme familiale. Les jours où l’on entendait Rob Shepherd sur une Honda à quatre-temps, sont bel et bien révolus mais resteront gravés dans nos mémoires.