Chroniques d’une journée de grève ordinaire

Mercredi matin 8h00. La radio confirme l’absence totale de RER pour aller bosser. 300 km de bouchons sont comptabilisés en Ile de France.
M’en fous j’ai une Buell. Je suis donc invulnérable, imputrescible, insubmersible et les jours de grève, particulièrement irascible.
Aujourd’hui pas de costard. On fait pas de la Buell en costard c’est une faute de goût. Pas de pompes de banquier non plus, les semelles cuir pour rattraper une prise d’angle trop optimiste, un écart mal maitrisé c’est pas le bon choix. J’irai donc bosser habillé en djeun’s avec le zonblou en cuir.
Si je croise un gros bonnet dans les couloirs du boulot et qu’il me regarde d’un œil bizarre en pensant que ma tenue n’est pas correcte, je lui dirais d’aller se pendre, moi j’ai pas une A8 avec chauffeur (la maison est riche). Moi monsieur je roule en Buell, et pas une en vieille en tubes de chauffage, non, une qui virevolte collée au bitume. Je suis un élu d’East Troy et tu devrais être fier d’avoir un employé comme moi.
Pas d’intégral non plus. Même si il caille, même si le doc’ dis que ce n’est pas « safe », pour conduire en ville il faut une visibilité totale pour lire la circulation, ce sera donc le Roof , casque venteux , mais classe. Mais venteux.

Je démarre. La rue est humide avec quelques reflets irisés, signe qu’un camion a du perdre du gas-oil. Des feuilles mortes écrabouillées collent la chaussée. Bon, on va y aller doucement. Je vais éviter de me taper le tunnel sous la Défense. Un jour de grève, se taper 4 bornes de tunnel embouteillé en apnée doit faire perdre au moins une année d’espérance de vie. Je décide de passer par le mont Valérien et le bois de Boulogne.
Km 3, en haut du mont Valérien, un feu rouge mal foutu, en plein virage en dévers. J’arrive, alors que plusieurs voitures y sont arrêtées. Je remonte la file pour me mettre en première ligne, juste devant une vielle Passat pourrie. Au volant, une mémère d’age canonique qui a dépassé le stade de l’état liquide pour tendre vers l’état gazeux. « Vieille taupe, qu’est ce que tu fous dans cette bagnole un jour de grève à l’heure ou le prolétariat rampant va gagner sa pitance? Tu peux pas rester dans ton canapé qui sent la pisse de chat a regarder une émission de télé-achat ? » (c’est beau, ça rime)
Le feu passe au vert, je passe la première. Soudain, juste derrière moi, j’entends des roues qui patinent sur le mouillé. Putain, la vieille qualifiée en deuxième ligne a du lâcher l’embrayage n’importe comment et shooter sur l’accélérateur, elle va faire un strike. Je démarre, lentement , parce que c’est quand même mouillé et pentu et j’entends les roues crisser de plus belle. Je redresse la meule, met un bon coup de gaz pour faire le holeshot. Je prendrai le virage plus tard. La roue patine un peu, mais sans souci, je suis droit comme un i. Je coupe deux voies et arrivé près du trottoir, je coupe, prend le virage et disparais. Ouf première épreuve passée.

Porte Maillot, kilomètre 5.

En temps normal, j’adore la porte Maillot. La piste est large, le revêtement très correct et la visibilité bonne.
Au feu d’avant, il suffit de vérifier que les forces de l’empire n’ont pas mis un poste avancé pour choper les bruleurs de feu rouge et quand le feu passe au vert, on peut se taper un pif paf plutôt pêchu avec un angle très sympathique.
Mais c’est pas aujourd’hui que je vais poser le genou, c’est complètement bouché. La XB est vive, je repère les trous entre les bagnoles et passe la place sans problème, pour arriver au feu en bas de la l’avenue de Grande Armée. Encore un feu qui ressemble à un départ de Moto GP. Des scoots en plastoc, des meules partout, ça sent l’arsouille, tout le monde à l’œil rivé sur le feu. Ca passe au vert, je me fais enfermer à l’intérieur alors que les scoots passent entre les files de bagnoles à la queue-leu-leu. On se reverra tas de lopettes, je ne m’englue pas entre les files, je fais l’extèr et remonte tout le flot sur le sens de circulation inverse, désert. Je me retrouve en pole alors que le troupeau de scoot reste en file indienne entre deux rangées de caisses. Pffff, bande de bleu[...]s, je suis un enfant du périf, on me la fais pas.

Puis arrive à côté de moi un type en Ducati 1000 GT, l’espèce de fausse vieille de la gamme Classic. Elle est flambant neuve, rouge avec les sacoches en cuir qui coutent un rein, et le type qui la conduit est habillé en jeune cadre dynamique. Vert, la Ducat’ démarre de manière autoritaire en me frôlant, je fais pareil. Ah tu veux jouer ?. L’avenue de la grande Armée a des pavés pourris, des trous, des bosses, un vrai terrain de cross. La ducat coupe un peu les gaz, pas moi. Ca secoue un peu, ça tape mai je reviens à sa hauteur, lui a gauche, moi à droite au moment ou on arrive à l’Etoile.

Pas trop de voitures qui tournent en rond, le flot est régulé à l’entrée par les flics. Il ne freine pas, moi non plus. On s’engage place de l’Etoile côte à côte sans tourner. Arrivés en plein milieu, personne n’a amorcé de virage.
M’en fous, je lâche pas le morcif, vais pas me faire faire le freinage par une ritale conduite par un trouduc.
Et comme je suis à droite et lui a gauche et que je suis en train de lui fermer la porte, si il ne freine pas le premier il va aller direct déposer une gerbe de plastoc sur la tombe du soldat inconnu. Il lache, freine et repasse derrière moi. Rhaaaa lovely, faut pas faire chier Raoul.

Je m’engage ensuite sur les Champs Elysées, bouchés comme d’hab, mais la, pas de course ça roule à 15 à l’heure entre deux feux rouges. Je me fais quand même fumer par un type en Aprilia RS 50 (si si) qui virevolte comme un moustique. Je tente la poursuite, mais la, ça craint trop. Trop de feux, de bagnoles de cyclistes, de piétons qui traversent, le gamin (ou le tarmo privé de papier rose) disparaît devant moi.

Kilomètre 11, feu rouge du rond point des Champs Elysées.
La c’est pas mal non plus mais dans un autre genre : On a l’impression d’être sur une piste de dragster en attendant que l’arbre de Noël passe au vert. Devant, 400 mètres de ligne droite déserte bien large avant d’aboutir sur la place de la Concorde. Ici , il y a quelques années, je prenais 160 avec ma Vmax, L’accélération du V4 transmise par le cardan gelait la suspension, secouant légèrement les 260 kilos de ferraille.
Mais depuis cette époque, les jumelles laser ayant fleuri plus vite que des jonquilles sur un tas de fumier, je ne force pas la dose, je fais le run peinard pour déboucher à un petit 70-80 place de la Concorde, en fais le tour calmement en évitant notamment quelques vélos plutôt inquiets de voir bombarder vers eux les caisses arrivant du pont de la Concorde avec 50 bornes de mieux.
Direction Madeleine puis Opéra puis Bourse, arrivée du CanonBall, toujours au milieu de bagnoles, scooters et vélos.
Km 15, je rentre au parking avec un petit sourire, je me suis presque fait plaisir. 30mn de trajet, peut mieux faire.
A la prochaine grève je change d’écurie, je passe chez les japs. Avec 60 kilos de moins et une vraie garde au sol pour choper les raccourcis, je peux peut être gagner 5 minutes.

Vive la grève.


PS
« Pour éviter toute polémique au sujet d’un comportement pouvant être taxé d’incivisme absolu, je précise que tout rapport avec des personnages existant ou ayant existé ne serait que pure coïncidence. »
Par ailleurs, aucun animal n’a été maltraité pendant le tournage.

Aaaaaahhh... Ca fait quand même plaisir de voir que y'a pas que dans la fonction publique qu'on peut se branler les c*** ou faire tout autre chose que son boulot !

Cela dit, faut quand même reconnaître que Bruno c'est un besogneux. Moi, pendant qu'il s'astiquait le clavier, je faisait la sieste...

superbe...comme toujours Bruno...

'tain...j'ai eu peur quand même... à un moment j'ai bien cru que la vieille liquidifiée t'avait fait une "chinoiserie-masducloesque" ....oufff...contente d'avoir vu qu'il n'en n'est rien...

c'est presque à souhaiter les grêves tes chroniques là... ça devient vraiment immoral !!!!

la prochaine fois si tu pouvais filmer (caméra atc2k)

jolie prose .

Au fait, ton petit parcour par le mont valerien et le bois de "boubou" j'me le fait tous le jours pour allez au taff... d'où l'aventureuse Ulysse pour voir loin

je me suis poiler devant le PC excellent

Tres sympa

Mais j aime de plus en plus mon coin

vive les bouchons

poulpette a écrit:

superbe...comme toujours Bruno...

'tain...j'ai eu peur quand même... à un moment j'ai bien cru que la vieille liquidifiée t'avait fait une "chinoiserie-masducloesque"

c est vrai quoi....j ais cru que tu avait remis le couvert

mais bon comme tu n a pas employer le terme " dinde"

Bioultifull

Demain tu prends la tronçonneuse en bandoulière (et t'oubli pas la rallonge). Tu pourras te faire un meilleur chemin.

Excellent récit. on s'y croirait

c'est toujours autant un plaisir que de lire tes aventures bruno !
c'est tellement bien écrit

Ouaaaaa

Tu devrait sortir des nouvelles dans un magazine de motards

Encore bravo

Episode II

Aujourd’hui, est un jour sombre car j’ai failli.

Fort de l’ expérience de la veille, je pensais améliorer mon temps de référence. J’étais prêt, la truffe humide pincée par le froid. La route était sèche, le soleil brillait comme à Austerlitz.
Aujourd’hui j’allais tous les fumer, scoots, vélibs, banlieusards en covoiturage, le son grave du HSA allait retentir dans la plaine, glaçant le sang des stakhanovistes du lever à 4h du mat’ et des victimes de l’Embouteillage.

Las, dès la sortie de chez moi la circulation est plus dense, je remonte les files de voiture à l’arrêt. Premier obstacle au bout de 300 mètres, Ginette sur son scoot 50 tout neuf, chaussée d’un casque neuf et d’une parka neuve me bouchonne. Elle est a l’arrêt complet, n’osant pas remonter les files de voiture. Je stoppe derrière, attendant qu’elle démarre. Mais rien, elle ne bouge pas. Elle doit être morte. A moins qu’elle n’attende l’apparition de la Vierge dans le ciel. « Eh cocotte, ça sert à quoi d’acheter un scooter si c’est pour rester plantée au milieu de la rue sans bouger ? » me dis-je in petto. Mon moteur est froid, je ne lui balance donc pas le « wabroooo, wabroooo », qui signifie que mon courroux est profond et que mon impatience est grande. Je cherche a voir son visage via son rétroviseur, mais non, elle ne regarde pas derrière, elle regarde le feu, au loin, l’air aussi vif que celui d’un canard qui a trouvé un couteau.
Ok, me dis-je, le seigneur t’a mis là pour me mettre à l’épreuve au saut du lit, mais non, je ne béquillerai pas la moto pour descendre te mettre un coup de boule et t’intimer l’ordre de dégager ta bouse chinoise en plastoc pour me laisser passer. Je recule d’un mètre passe entre deux voitures et chope le trottoir, zigzaguant entre les voitures abandonnées sur place et les bitonniaux de sortie de garage.

Le mont Valérien passe sans problème, le bois de Boulogne aussi, mais 80 km/h en jet quand il fait 2°C, ça pique un peu.
Je suis parti depuis 20 minutes et toujours personne pour jouer, quand j’arrive porte Maillot. Le feu vient de passer au vert et il est là.
Un petit scoot gris de rien du tout avec deux victimes personnes à bord qui se traine en plein milieu de mon virage sur ma trajectoire.
Tu dors ? Attends je vais te réveiller. Et pas avec de la petite musique de chambre, non avec le bon gros buzzer qui te vrille le cortex.
Il y a un trou de 50 mètres, gaaaaaz à l’approche du pif paf , qui est un gauche droite presque instantané.

Il y a plusieurs façons de faire un dépassement, certaines sont respectables, d’autres moins. Mais seul l’exter’ est beau. L’exter’ a de la noblesse en lui, c’est un acte rare, difficile, inaccessible au bourrin du dépassement en ligne droite à fond la caisse. Quand tu réussis proprement un extèr, à ce moment là tu tutoies les anges, certains prétendent même que tu peux marcher sur l’eau.

La, la proie est facile, d’autant plus facile qu’elle ne se doute de rien. Je me déhanche légèrement côté gauche et passe à sa droite avec 30 bornes de mieux pour immédiatement rebalancer dans le droite suivant. La XB est vive, instinctive, la ou on pose le regard elle y va sans broncher, le petit scooter disparaît en un clin d’œil

Mais après, ca se corse. Je rejoins un flot consistant avec peu de trous pour jouer à saute-bagnole. Et c’est là qu’on aperçoit qu’une Buell, c’est pas le top en ces circonstances, la boite est dure, l’embrayage viril, les virages à angle droit impossible à passer en une fois. Elle a un rayon de braquage a peu près équivalent à celui d’un porte avions nucléaire de classe Nimitz. En shootant dans le frein arrière on arrive quand même à bloquer la roue pour l’aider à tourner, mais c’est pas idéal. Ahhhh, quand j’aurais mon petit supermot’.

Champs Elysées, toujours aussi bouché, je remonte les bagnoles par la voie de gauche jusqu’au feu rouge ou les voitures sont arrêtées. Pour rejoindre ma voie et passer en première ligne je vise entre le petit terre plein central qui délimite les passages piétons et la caisse de tête de la voie de gauche. Je fais toujours ça. Je m’engage, il y a peu de place entre l’aile avant gauche et l’ilot. Alors que la moitié de la moto est engagée, la voiture se met à avancer, alors que le feu est toujours rouge.
« Ben oui tête de nœud, t’as qu’a m’écraser, me rouler sur les nougats, après tout on est en guerre »
Je me retourne pour voir le conducteur, et j’aperçois une dinde en train de téléphoner. Je la regarde fixement, pensant qu’elle va au moins reculer des 50 cm qu’elle a fait en trop.
Mais rien, nibe, que dalle, elle ne daigne même pas tourner pas la tête pour me regarder, ni surtout s’arrêter de parler dans son téléphone à la con. Je rêve. Puisqu’elle ne bouge pas, j’essaie quand même d’avancer mais un bruit de ferraille me signale que mon pot touche l’ilot. Ca passe pas.
Je recule pour me retrouver à sa hauteur en espérant qu’elle baisse sa vitre pour que je puisse lui demander avec la plus parfaite politesse acquise dans les pensions suisses les plus huppées si elle pourrait reculer de 50 cm.

Toujours pas de réaction, elle continue de téléphoner en regardant fixement devant elle.
Mais comment ça elle me voit pas, j’suis pas transparent !! Ma moto est noire, je suis habillé comme un braqueur de banque, pantalon noir, blouson noir ciglé Buell, casque noir, gants noir, je suis pas le clown Ronald Mc Donald, bordel !
Que faire ? taper au carreau, l’insulter, cracher sur la vitre, m’approcher pour faire de la buée et dessiner une magnifique peinture rupestre en forme de zob avec mon gant pour la distraire ?

Puis le feu passe au vert, elle daigne enfin me regarder pour savoir qui y va en premier puisque personne ne peut démarrer. Mais je suis las, décontenancé, je tends la main pour la laisser passer. C’est beau, chevaleresque, magnanime, je m’étonne moi même.

Le reste du trajet se passe sans encombre jusqu’au parking, jusqu'à ce que je regarde la montre. Bordel, 36 mn,
6 de plus qu’hier ça va pas du tout, je faiblis.

Ca m’apprendra à mollir.

tenez bon camarades,

que bruno puisse nous faire péter un chrono correct

et surtout nous faire revivre son trip de si belle façon

chapeau Bruno. j'en rigole encore, ces récits ne peuvent paraître plus vrai, on est dedans et bien incrusté dans le décor. Ca fait plaisir à lire, vivement vendredi . vivement la suite

bruno rulesssssssssss......

YEAHH

vive les greves!!!

la dinde a encore frappée ......mais une blonde ce coup ci



etonnant que tu lui a pas savaté sa portiere , comme frappe preventive

Polo l'arsouille a écrit:

chapeau Bruno. j'en rigole encore, ces récits ne peuvent paraître plus vrai, on est dedans et bien incrusté dans le décor. Ca fait plaisir à lire, vivement vendredi . vivement la suite

idem

Dire que j'aurais dut être a paris ces 2 jours (mais sans moto pas possible ) Et puis la SNCF ne 'ammène même pas jusqu'a montparnasse. ah les méchants "bip"....