Episode III
Ce matin, je mouche noir, j’éternue noir, j’ai les yeux plus rouge qu’un lapin atteint de mixomatose qui aurait trop fumé de crack. Welcome to Paris, la ville lumière.
Ce matin il fait froid, il a gelé dans la nuit. Le trafic RATP reprend progressivement. Ma ligne remarche avec quelques trains, je crois que je vais aller bosser en RER
Et puis l’autre casse-couilles se pointe dans ma tête. Il est petit, tout rouge avec une barbichette et de petites cornes. Il a une longue queue et une fourche à la main et il me susurre :
« Mais c’est quoi cette loose ? Tu va pas retourner au taf en train comme une tafiolle. En plus y’en a qu’un sur 10, si tu le prends tu vas être asphyxié par les autres blaireaux. Avec ta taille de nain, tu vas quand même pas passer une plombe a respirer les aisselles des grands. Et puis je te rappelle qu’hier t’as fait un temps de merde dans la spéciale, t’as pas d’honneur ou quoi pour t’arrêter sur un échec ? En deux jours t’as insulté personne, presque jamais forcé le passage, pas dézingué le moindre rétro pas même mis le moindre petit coup de pompe. Allez fous ta cagoule et viens c’est la dernière, tu vas voir ça va être grandiose, on va se fendre la gueule »
« Tu me saoules Belzébuth » je lui réponds. Mais comme ce petit con ne va pas me lâcher, un peu convaincu par ses arguments quand même, je décide de sortir la meule.
Dans sa niche le thermomètre affiche 3°C. C’est peu. Le démarrage est un peu hésitant mais sans reset, ce week end je la remettrais sur Optimate.
Dehors, les toits sont blancs, les feuilles mortes gelées craquent sous les roues, je commence tout doucement.
La moto est raide, l’huile de fourche doit ressembler à de la margarine, les commandes sont dures.
La circulation semble plus fluide qu’hier mais les conducteurs plus énervés, le ras le bol sans doute. Des voitures zigzaguent, doublent par la droite, se rabattent sans prévenir. Une conductrice, clone parfait de mamie Nova, me fait un démarrage type F1 avec sa pauvre Clio mazout pour passer de la droite sur la gauche et couper deux files. Je la laisse passer en secouant la tête, de toute façon mon moteur n’est pas chaud.
Avant le pont de Suresnes, je me retrouve à côté d’une fille en scooter. Elle réajuste son tablier à moumoute pour rester au chaud, je la regarde, pensif. Ca serait peut être pas mal un tablier sur la XB, y’en a bien qui ont déjà mis des manchons.
Le bois de Boulogne est tout blanc, je le passe sans encombre à un petit 80 km/h, ma cagoule de braqueur sur le nez.
Fin du bois, dernier feu rouge avant la porte Maillot, j’entre dans l’arène. La proie du jour est un type en costard assis sur une Monster, je ne sais pas trop laquelle, mais pas une d’excité à culasses Testrastretta, une Dark quelconque. Bof ça ira, bien pour le petit dèj’.
J’entends Belzébuth ricaner. Le feu vient de passer au vert , la Monster démarre avec une 500 CB juste devant, légèrement sur sa droite, au moment ou j’arrive au feu. Je slalome entre 2 caisses et balance un gros coup de gaz.
La direction devient légère, la roue se décolle de quelques centimètres. Je fume instantanément la pauvre Ducati qui ne demandait rien dans le même dépassement qu’hier, car je le rappelle, seul l’exter’ est beau.
Changement d’angle et la CB est avalée aussi rapidement. Mais ça ne compte pas, ils ne jouaient pas, ils passaient juste.
La porte Maillot est complètement bouchée, ça n’avance pas. C’est un enchevêtrement de bagnoles, camions, 2 roues divers. Fait chier. Je la contourne par la droite, contre le trottoir, le pied gauche sur le sélecteur , le droit sur le trottoir haut de 15 centimètres. Puis je suis bloqué. Je reste là 30 secondes, sans bouger. Je tourne la tête à droite. Une avenue perpendiculaire débouche aussi sur la porte Maillot. En son milieu, un ilot directionnel avec des lignes de piste cyclable contourne le bouchon.
Belzébuth se met à gueuler : « vas y, fais le, on va pas rester ici à moisir 107 ans. Qu’est ce que t’en as a foutre, une moto c’est pareil qu’un vélo, donc t’as le droit . Vas y fonce »
Je fonce. Je laisse passer une fille à vélo qui vient en sens inverse. A son air surpris, je vois bien qu’elle s’étonne de me voir là. Je traverse le passage clouté et m’engage sur la piste cyclable. Je vois une demi douzaine de têtes casquées me regarder faire alors que eux restent scotchés. Belzébuth n’en peut plus, il leur balance un « Alors les tarlouzes, on bronze ? » hilare.
J’arrive en bas de l ‘avenue la grande Armée, déserte. Comme la porte Maillot est asphyxiée, personne ne s’engage sur l’avenue. Je balance les watts avec l’air rigolard du sale gosse qui a fait un mauvais coup.
A 110 sur l’avenue, je coupe, ça commence à secouer.
Ca y est, je suis chaud. Je m’engage place de l’Etoile assez fluide. On y voit rien, le soleil se réfléchit sur les pavés luisants. L’Arc de Triomphe est contourné rapidement, direction les Champs Elysées, un peu plus chargés.
Au bout de 50 mètres une moto me double en zigzaguant. Aux pots sous la selle et à la position de conduite, je crois reconnaître une Ducati Hypermotard. Le type bombarde bien et propre, ca sent la détermination.
Chic, c’est l’heure de la récré. Je rentre un rapport et je le chasse. Je le rattrape au feu rouge. C’est une Yam MT 03, un mono de 660 cm3 habillé en street-bike. La moto est blanche, le pilote a un casque blanc avec des lunettes de cross noires alors que chez moi, tout est noir.
Il m’a vu, je l’ai vu. Vert, on démarre comme deux cons pour s’arrêter 50 mètres plus loin au feu rouge suivant. Match nul. Feu du Rond Point des Champs, au bout de ma piste de drag. Ca va chier. Il est à droite, moi à gauche. Je le regarde, petit signe de tête. Il me le rend . Je passe la première, les yeux rivés sur le feu. 30 mètres plus loin, autour du rond point, 5 ou 6 bagnoles sont arrêtées pour se préparer à tourner à gauche. Va falloir négocier ça.
Vert, je balance la purée. La moto se détend comme un gros élastique, je passe la deuxième juste avant d’arriver sur le tas de bagnoles. Coup d’œil à droite, personne, je freine légèrement de l’avant, je n’ai pas confiance en l’adhérence des pavés polis, mais shoote dans le frein arrière. La roue approche du blocage et la moto amorce un travers, qui me ralentit bien. Je lache tout, contourne l’obstacle et remet les gaz devant le Grand Palais. Ca sautille, le Qualifier souffre, je vois le compte tour qui monte trop vite par rapport à la vitesse. Je patine de l’arrière. J’arrive en tête au feu de l’entrée de la place de la Concorde. La MT 03 ne vient pas s’arrêter à coté, pas de casque blanc dans les rétros. Elle n’est pas là. Ou alors il est juste derrière, à l’affut.
Il faut que je donne le coup de grâce sur la Concorde.
La Concorde est technique. Quand on vient des Champs pour rejoindre la Madeleine il faut faire presque le tour complet. La meilleure place au feu est sur la gauche, j’y suis.
Gaz, je m’engage sur la place déserte par un grand droite, le revêtement est nul, ça glisse, ça saute. A la fontaine, il faut impérativement éviter la corde, le vent balançant de la flotte sur le point de corde et 5 mètres de chaussée. Angler ici trop vite et c’est le gadin assuré, je contourne la zone humide, un œil sur les caisses arrivant de la Seine et attrape la rue Royale. Pas de MT03, elle s’est volatilisée.
Madeleine, Opéra, en décompression. Arrivé au dernier feu avant le boulot, je regarde la montre au tableau de bord : je suis parti depuis 29mn. Dernier coup de gaz dans la rue du boulot, je m’engage dans le parking, toujours 29 mn après être parti. Je fais un petit sourire, j'ai enfin amélioré mon temps.
Belzébuth me murmure à l’oreille « alors , j’avais pas raison, on s’est bien marrés, non ? »