Il est des histoires qu’on raconte, le coude sur le zinc, mais qui ont aucun intérêt et sont rapidement dissipées par les vapeurs d’alcool. Il en est d’autres qui ne méritent qu’ un simple entrefilet dans un journal, jeté aussitôt lu et dont la page dans le meilleur des cas ne servira qu’a recueillir les épluchures pour la soupe du soir.
Certaines histoires par contre, sont fondatrices de légendes, de respect et de grandeur. Elles s’écrivent pour l’éternité et sont contées à la veillée durant des générations entières.
La cuvée 2010 des morveux est de celle-ci, mais pouvait il en être autrement ?
Partir en Buell dans le Morvan au sortir de l’hiver n’est déjà pas un acte anodin. Non pas parce que c’est loin, ni parce que nous ne sommes que fin mars ou que nous ne prenons que des chemins de traverse. Mais les trois aspects conjugués font que ce genre de sortie est forcément exigeant.
Depuis plus d’une semaine, la météo annonçait pour le week-end un temps catastrophique sur toutes les régions concernées par la sortie. Pluie, vent et net rafraîchissement allaient être de la partie durant 2 jours.
Vent de panique. Redoutant les désistements en cascade et l’annulation peu glorieuse, Christian envoya des sms à tout le monde pour confirmer la venue. Certains renoncèrent, mais comment leur en vouloir. Pour la première grosse sortie de l’année, taper tout de suite dans l’extrême n’est pas forcément un plaisir pour tous.
Mais l’essentiel est là, le Raging canal historique est présent, il ne recule pas et fait front, comme toujours.
Tout commence vers 8h30 le samedi. En partant de chez moi, la route est légèrement humide mais il ne pleut pas. Je suis quand même en configuration hiver, mais sans avoir mis les vêtements de pluie.
Direction l’aire de Lisses, à 50 bornes. Ma XB qui n’a pas tourné de l’hiver est sortie d’hibernation il y a à peine 15 jours. Elle chauffe tranquillement à la fraîche quand soudain entré sur l’A6 et seulement à 10 kilomètres du but la fin du monde se déchaîne.
Des hectolitres de flotte me tombent sur la couenne, on y voit pas grand-chose, surtout quand les camions balancent des nuages de flotte. Bof, avec le surfer d’argent comme avatar je suis censé être dans mon élément.
Ca commence bien, on est mêmes pas partis que la sanction est sévère. Mon blouson se gorge de flotte mais me maintient quand même au sec grâce à la membrane étanche.
Plein faits et égouttage dans la station, tout le monde enfile les plastiques et nous voilà partis.
Nationale pour débuter, puis départementale humide, la flotte ne nous quittera pas du week end.
Tant pis. De toute façon à l’approche d’un virage, le mouillé c’est comme les gravillons, c’est dans la tête.
Arrivés à St Fargeau, pause déjeuner. Le triptyque confit de canard-pinard-moelleux au chocolat vaut tous les dopages du monde, et c’est requinqués que nous repartons à l’assaut.
Les routes sont encore larges et droites donc d’un intérêt relatif.
Alors que nous avançons vers la gloire, l’infâme Sauron commet l’impensable, il double le Guzziraptor et ouvre les gaz dans la ligne droite. C’est un crime de lèse majesté, on ne double pas Christian, par respect pour celui qui nous guide et qui connaît tous les gravillons morvandiaux par leur prénom. Quand on ne connaît pas le road book, on ne double pas l’ouvreur pour partir comme un damné, c’est contraire à l’éthique.
Mais le docteur Maboul est sur le chemin de sa Grange, endroit infâme ou il mange des enfants et se livre à des expériences sexuelles sur des animaux morts. Enfin c’est ce qui se dit.
Docteur Folamour parti, je me retrouve derrière Christian. Je suis comme un gamin qui enfermé dans son parc, vient de s’apercevoir que la porte vient de s’ouvrir.
Donc gaaaaaaaz, je double la M2 et me lance à la poursuite du docteur Frankestein avec la ferme intention d’aller lui bouffer le foie. Je rattrape l’effronté en quelques secondes, normal je suis à plus de 180 (c’est une autoroute allemande, j’ai oublié de le préciser).
Ce manège imbécile dure quelques kilomètres avant que je décide de rendre la main, me souvenant que je chevauche une moto de plus de 39000 kilomètres avec un pignon de pompe à huile en carton et un vilo en bois.
Quelques kilomètres avant Clamecy je double le docteur Mengele, pour lui demander de se ranger afin d’opérer un regroupement. Le reste de la troupe arrive au bout de quelques minutes. Mais pas tout le reste. Manque Christian, T Rod et JP.
Le docteur Moreau fait demi tour pour rechercher les portés disparus et revient quelques minutes plus tard bredouille. Ca sent le pâté.
Mon téléphone sonne, c’est Christian qui m’annonce que Rodolphe vient d’exploser son roulement de roue arrière. Saloperie de roulements. Un classique de la panne XB.
Mais le Raging n’abandonne jamais ses blessés. Ensemble nous partons, ensemble nous arrivons.
Christian nous rejoint. Des motards croisés nous indiquent un petit magasin de moto dans Clamecy. Avec un peu de chance ils auront les dits roulements.
Pour suivre la vie et la mort des roulements XB depuis longtemps, je connais par cœur leur référence industrielle, c’est des 6006, on en trouvera peut être dans le coin.
Pendant que Rodolphe attend l’assistance une vingtaine de kilomètres en amont, nous rejoignons le bouclard dans la zone industrielle. Il ne paie pas de mine. 1 bandit et 2 FJ 1200 lessivées sont sur le devant pour toute occase.
C’est pas gagné. Je rentre dans le bouclard et demande au gars si ils ont des roulements en stock de référence 6006. Vu le stock famélique logé sur l'étagère je ne suis pas étonné quand il me répond non.
Je lui demande ou je pourrais en trouver et si éventuellement il pourrait les monter.
Il m’indique un magasin de pièces auto quand son pote à une idée, « ze idée »
« Y’a une usine de pain Jacquet à 5mn, vous avez qu’a y aller et demander à la maintenance si ils ont pas des roulements, ils ont des tas de machines donc des tas de roulements. »
Ah ouais, c’est pas con ça je me dis. 5 minutes après, un commando de choc part attaquer l’usine, avise un gars dehors qui pointe du doigt un type qui fume sa clope et qui fait partie de la maintenance. Explication, requête, recherche dans le stock et les roulements atterrissent dans nos poches. Gratos en plus. C’est magnifique. On savait que le salut pour nos tromblons US pouvait venir de John Deere ou Massey Ferguson mais de la à penser que la lumière viendrait des pains Jacquet , personne n’aurait misé une thune sur le roi du pain de mie.
De retour au magasin de moto avec les roulements, on attend quelques minutes et l’assistance arrive avec la XB meurtrie sur sa remorque. Bien sûr, les gars n’on jamais opéré de Buell, Couiq leur file les clés US et aide à la manœuvre. Bien sur les extracteurs locaux sont trop petits et c’est avec l’amour de quelques coups de marteau dans la tronche que les roulements sont expulsés et remplacés par les neufs.
Coût de l’opération 19 euros, soit le prix de la demi heure de MO, tarif imbattable.
L’invasion du Morvan peut continuer. Sous la flotte bien sûr sinon ce ne serait pas drôle.
Il nous reste une centaine de bornes. Inévitablement nous allons attaquer la partie la plus technique vicelarde et pourrie pour arriver la nuit tombée.
Alors que la lumière décline nettement nous nous engageons dans la vallée du Cousin. Les nationales oubliées, les départementales vaincues nous nous attaquons aux voies communales.
Oubliés de la DDE, meurtries par les hivers et le gel, les routes de la vallée du Cousin ressemblent aux voies qui mènent au Mordor dans Le Seigneur des anneaux.
Bordée par un à pic rocheux, mousseux et sombre d’un côté et par une rivière féroce longeant des arbres de l’autre, la route est pourrie et on y voit que dalle. Nous sommes sans doute épiés par quelque Gollum local qui se réjouit que des victimes entrent sur son territoire. Il ne faut pas chuter ici sur cette route de 2 mètres de large, entre la roche d’un coté et un muret en pierre épaisse de l’autre, sinon on va avoir de gros problèmes.
Ca secoue, ça éclabousse, ça rebondit. Les pots, tous plus libres les uns que les autres effraient les ptérodactyles qui s’envolent en croassant. Enfin je suis pas sur que c’était des ptérodactyles mais il faisait vachement sombre.
La vallée du Cousin vaincue il fait maintenant nuit noire. Nous prenons le dernier embranchement nous indiquant l’arrivée à 10 km et toujours sous une pluie fine et pénétrante avec maintenant un température nettement rafraichie.
Je suis en troisième position derrière Sauron et toujours menés par Christian quand nous entrons dans la sombre forêt d’Anost.
Le problème avec le panzer de Sauron c’est que le feu arrière trop puissant me masque la route. Et quand il freine , son stop me crame la rétine.
Que faire, lui laisser de l’avance ? Plutôt crever que de baisser pavillon. Alors il faut que je le passe.
Mais il fait nuit noire, il pleut, la route est défoncée et tournicotante et il serait un tantinet imbécile de faire un strike à 20 000 boules en plein no man’s land. Je le suis quelques minutes, guettant la moindre occasion
Elle surgit rapidement. En sortie de gauche je le passe à l’accélération, confiant dans le grip magnifique de mes Roadsmart. Je suis derrière Christian dont le feu arrière éblouit nettement moins, normal il ne marche pas.
Mais je me dis qu’il ne faut pas en rester là, il me faut ma spéciale de nuit, seul sans aucun phare autour de moi.
Le dernier panneau indiquant Anost à 7 km passé , je double le Guzziraptor et fonce comme un demeuré, les xénon déchirant la nuit. En moins de deux minutes je suis seul, plus aucun reflet dans les rétros m’indique que le reste de la troupe est bien lâché.
Ca y est, je l’ai ma spéciale de nuit. Poussé par je ne sais quelle pulsion, gavé d’adrénaline saupoudrée d’imbécillité congénitale j’augmente le rythme en shuntant la plupart des fusibles liés à la survie de l’espèce.
Ce qui est bien avec la nuit c’est que comme on y voit rien, on n’a aucune perception du danger. La moto saute et rebondit au gré des trous et des bosses, mais je n’en éprouve aucune émotion, hyper concentré sur la lumière blanche qui danse devant la XB.
Je commence même à transpirer.
Et puis sur un gauche abordé un peu vite, j’élargis la trajectoire en me rapprochant un peu trop près du fossé, je freine, la moto fait un écart avant de raccrocher et je rejoins le milieu de la route en rebranchant immédiatement mes sécurités et ainsi éviter de me retrouver le pâté collé au fond de la boite après un double axel pirouetté
Les lumières d’Anost me signalent l’arrivée et je vois Bioman au milieu de la rue qui m’indique le chemin de la cour de l’hôtel.
Vivant , je suis vivant. Putain, c’était bonnard. Chaud mais bonnard. Mais quand même chaud.
Je me gare, descend, enlève le casque alors que le reste de la troupe arrive.
Ca fait du bien de voir des sourires et des têtes connues après cette journée intense.
Je bisouille Maya qui revit depuis qu’elle a mis un tigre dans son moteur, Nicotak, toujours à l’humour acéré et Bioman de retour de la fashion week de Milan avec un zonblou Dainese tout neuf rouge et blanc immaculé qui doit lui faire gagner à lui seul près de 14 secondes au tour.
Le repos des braves arrive, sous la forme de binouzes, kir bourguignons et autres breuvages locaux avec échange de news diverses et variées (voire avariées)
Puis suit le repas , on est 13 à tables mais on s’en fout on se marre bien jusqu’à pas d’heure.
Lendemain matin, réveil. Tiens il pleut, ça nous change. Petit dèj, habillage marin pêcheur, bisouillage et direction la sation service à quelques mètres pour faire le plein
On fait la queue devant l’unique pompe, motos béquillées sur la rue en pente. Je cale l’avant de la meule contre le trottoir et regarde la pompiste faire le plein. Je vais payer et rentre me mettre à l’abri en attendant que les autres soient passés.
5 minutes après un boum me fait sursauter, je tourne la tête et vois avec effroi ma moto à terre.
P* de b* de m*, on relève la moto et je constate les dégâts: le levier d’embrayage pazzo cassé à l’endroit prévu pour, l’embout griffé mais surtout la patte de renvoi de la commande reculée Rizoma pétée net, la tringle pendouillant dans le vide.
Grand moment de solitude, on est même pas partis qu’on est déjà arrêtés . On rentre la moto pour réfléchir à une solution. Sans patte plus de tringle, il faudra s’en passer.
C’est alors que Couiq prend à sa charge la direction des opérations.
Ce mec a fait un faux départ dans le monde buelliste avec une apparition très remarquée en Auvergne. Mais il va redorer son blason au delà de toute espérance.
Un type qui change un moteur d’avion Transall pour Noël au fin fond de l’Afghanistan ne va pas se laisser emmerder par un bout d’alu pété sur un tracteur vieillissant. Il ouvre son sac.
Ce qu’il faut savoir c’est que le Couiq vient en week-end de 2 jours avec un sac à dos de 50 litres bourré jusqu’a la gueule comme pour un trekk au Népal. Mais à l’intérieur…
Moi qui pensait qu’il avait amené pour la soirée de samedi son costume de Bee Gees avec accessoires afin d’être au top pour la Maya’s fist-fucking-méga-vixens-party, je suis stupéfait.
En fait il est venu avec son garage sur le dos : clés en tout genre, loctite, pinces, huile, courroie, tout y est.
Avec Zef pour l’ingéniérie, je ne me sens pas inquiet sur les 300 bornes à faire sous la flotte malgré la tringle qui pendouille, je n’envisage même pas de sortir la carte d’assistance.
On se passera de la tringle, le sélecteur est placé directement sur l’axe, mais sans renvoi il tourne sur celui ci, impossible de s’en contenter. Qu’a cela ne tienne, on fouille les boites du garage pour trouver la pièce qui bridera le sélecteur. Un bout de ferraille trouvé, le Couiq lime, meule, perce, ajuste, colle et visse le sélecteur directement sur l’axe.
Mais sans renvoi je serai en commandes inversées, première en haut et les autres en bas comme en MotoGP.
Un petit test dans la rue valide le montage, le sélecteur tombe pile poil.
Nous voilà partis sous la flotte sur le même genre de routes qu’à aller.
Ca tourne comme à l’aller c’est mouillé comme à l’aller mais le retour semble toujours plus long qu’a l’aller.
Et pendant ces 300 bornes il ne s’est rien passé. Incroyable non ?
A l’issue de ce week-end mémorable qui s’inscrira forcément dans le livre d’or des sorties du Raging, je tiens à rendre hommages aux valeureux participants qui ont réussi la mission :
Christian, le Guzziraptor, découvreur de routes que même une bête refuserait de prendre, mais magnifiques de virages, de lieux, et d’absence quasi totale de képis planqués dans les buissons.
Zef, membre historique du raging et de la mythique section alpine au guidon d’une XB 2004 de près de 50 000 bornes. JP 95 , iceman, qui pourrait faire le tour de la Terre avec sa moto si on lui demandait de partir demain à 8h. T-Rod qui jurait qu’il n’était pas mouillé avec son pantalon et son blouson en cuir mais qui dégoulinait à peine assis sur un tabouret et nous inondait en nous serrant la main. Sauron la tafiole , qui. A non il était pas là. Couiq le magnifique et son sac magique, Claude le frère de Christian sur sa 250 RG qui nous annonça le samedi soir avoir vu pour la première fois en 35 ans de moto un mec déhancher en BM en parlant de Sauron. Duss, et sa CR avec pot Saron full barouf, qui ne salissait pas à l’extérieur mais qui se demandait pourquoi l’eau remontait par le bas.
Et bien sur ceux que l’on a retrouvés, seuls membres d’un Crab disparu, décimé par la consanguinité et l’alcoolisme, mais qui mériteraient d’être parigos à savoir Maya, Tigrou, fraichement admis dans le cercle des fous dangereux, Nicotak revenu à la vie après le rachat d’une Buell sans oublier Bioman, seul représentant de la taïga glacée de l’est.
Gloire à eux, gloire à nous, le Raging est immortel et inégalable.
C’est quand la prochaine sortie pour adultes ?
En post scriptum je voudrais adresser mes remerciements à Pedro, qui en mai 2004 a construit ma moto. Pedro ne s’était pas torché à la tequila la veille au soir lui permettant de faire son travail avec conscience, sérieux et rigueur.
En 700 bornes dont 650 sous la flotte, ma moto de près de 40 000 bornes n’a pas eu un raté, pas un trou et a répondu à la moindre sollicitation des gaz, sans le moindre bruit suspect.
Pedro, maintenant du dois être mal sans boulot avec tes 4 gosses et ta morue qui gueule tout le temps, mais tu peux être fier de ce que tu as fait. Je t’aime.