Alors que tous les pilotes et la plupart des techniciens composant le paddock des Grand Prix sont contraints à un relatif repos forcé pour cause de trêve hivernale, pour certains, la saison 2015 a déjà bel et bien commencé.
C'est notamment le cas chez ELF, dont l'essence destinée aux tests MotoGP de février à Sepang a quitté la région lyonnaise la semaine dernière.
Jacky Hutteau, l'incontournable et inoxydable pilier du paddock, travaillant aujourd'hui pour le pétrolier français qui approvisionne 70 % des MotoGP, nous explique pourquoi.
Jacky Hutteau: "On envoie l'essence par bateau et l'on s'y prend largement à l'avance pour avoir une sécurité par rapport à la durée du transport, mais aussi par rapport au dédouanement, qui peut toujours être plus lent que prévu. On n'est jamais trop prudent car nous avons aussi rencontré des problèmes de grèves des dockers en Afrique du Sud ou, très récemment, de tempête au milieu de l'océan. C'était l'année dernière, pour Phillip Island en Superbike, ce qui m'a obligé à être en liaison permanente avec le transporteur qui lui-même était en liaison directe avec le bateau. Ce dernier prenant de plus en plus de retard, nous avons dû calculer la quantité minimale d'essence pour pouvoir faire les essais pré-course et la préparer pour un transport aérien en urgence, ce qui coûte une fortune. Pour éviter tous ces impondérables, il faut non-seulement être vigilant mais également s'y prendre le plus en avance possible.
Quand au transport aérien, il est de plus en plus cher et réglementé. Evidemment, on ne transporte pas de l'essence dans un avion de ligne, mais seulement dans certains avions cargos. Le moindre point de rouille sur un bidon et celui-ci est immédiatement refusé. Le moindre petit choc conduit au même résultat. Tout est très sévère pour éviter au maximum le moindre problème de sécurité. Cette sécurité poussée à l'extrême m'a d'ailleurs valu une petite anecdote...
C'était il y a plusieurs années avec un lot d'essence supplémentaire envoyée d'Amsterdam au Japon. Un bidon a été refusé et le préposé a mis son essence dans un superbe bidon neuf.... mais rouge.
Une fois au Japon, nous avons donc entamé la distribution des bidons bleus siglés ELF au milieu desquels se tenait un unique bidon rouge et anonyme. Evidemment, tous les teams sont venus nous demander pour qui était ce fameux bidon rouge, et ce qu'il y avait dedans, ce qui nous a plutôt bien amusé." (rires)
GP-Inside : au cours d'un voyage de plusieurs mois, l'essence se dénature-t-elle un petit peu?
Jacky Hutteau: "Non. Pas du tout. Quand un bidon est ouvert, l'essence a tendance à perdre certains de ses composés les plus volatiles, surtout quand il fait chaud. C'est pour cela que je passe dans les box rappeler de bien fermer les bidons au Qatar, par exemple. Mais dans un bidon fermé, nos produits durent sans aucun problème plusieurs années, même si certains sont persuadés du contraire.
A l'époque des 2temps, les fausses idées étaient encore pires et l'on croyait qu'un mélange fait la veille était légèrement dénaturé. En particulier, Erv Kanemoto, qui travaillait alors pour Max Biaggi, jetait systématiquement son mélange tous les soirs avant de nous racheter essence et huile le matin. C'était un bon client! (rires).
Mais c'était également un technicien hors pair qui essayait un peu tout pour améliorer les performances. Je me souviens d'une fois où nous avions une essence un peu "agressive" à essayer. Normalement, c'est toujours testé au Japon avant d'être déployé sur les circuits mais là, j'en avais donné un bidon à Erv qui l'a fait essayé à Biaggi. Ce dernier n'a fait qu'un tour avant de s'arrêter et de demander ce que Erv avait à la moto. A l'époque, il était déjà très rare qu'un pilote détecte un changement d'essence, aujourd'hui, ce n'est simplement plus possible à cause du règlement.
Les règles sont tellement strictes que les pétroliers travaillent non-pas sur la tête de l'épingle, mais sur la pointe de l'épingle. Cette marge de manœuvre très limitée est un peu frustrante pour les ingénieurs mais le progrès ne s'arrête pas pour autant. Cette année, l'accent a été mis sur la consommation, et même étroitement limités, les ingénieurs ELF ont réussi à économiser 2%, ce qui n'est pas négligeable. Cette évolution n'a toutefois pas encore été portée sur la piste."